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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 13:00

Il y a parfois des choses dont on se rend compte de l'importance peu de temps avant qu'elle ne disparaisse


 

La Commission nationale de déontologie de la sécurité vient de rendre son rapport annuel qui pourrait être malheureusement le dernier.

 

Qu'est ce que c'est que ce truc là ?

 

Il s'agit d'une autorité administrative indépendante composée de manière pluridisciplinaire, créée par la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000, chargé de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant sur le territoire de la République des missions de sécurité dans différents domaines notamment la police, la gendarmerie, les douanes, les agents de l'administration pénitentiaire, les employés de services de sécurité privée...

 

La Commission peut être saisie dans le délai maximum d'un an à compter des faits par toute personne qui s'estime victime ou témoins de fait constituant un manquement aux règles de déontologie.
Et pourquoi faire simple quand on peut compliqué un peu les choses ? : l'autorité ne peut pas être saisie directement ; il faut transmettre la demande par l'intermédiaire d'un parlementaire ; sans doute histoire d'avoir un filtre et éviter l'afflux de demandes...

 

Il est toutefois à noter que la commission a  le droit de se saisir directement d'une affaire ou que le Premier ministre, le médiateur de la République, le président de la Halde, le contrôleur général des lieux de privation de liberté et le défenseur des enfants peuvent également la saisir sans intermédiaire.

 

 

Mais à quoi cela sert-il vraiment de saisir cette autorité ?

 

Aux premiers abords, il serait tentant de répondre : "comme pour beaucoup d'autorités administratives indépendantes, à pas grand chose ou si peu"...

 

En effet, la CNDS n'est pas une juridiction supplémentaire ;  loin de là, elle ne s'intéresse qu'aux manquements à la déontologie. Une notion qu'elle définit comme "

l’ensemble des règles de bonne conduite relatives au comportement professionnel. Elle relève à la fois du droit et de la morale. Elle vise à créer un état d’esprit respectueux des personnes et protecteur des libertés individuelles."

 

De plus, même si chaque dossier étudié fait l'objet d'une instruction, la commission ne rend au final qu'un avis qui peut éventuellement être assorti de recommandations adressé au ministre de tutelle ou à l'employeur concerné.

En théorie, il peut être demandé à ces derniers de rendre des comptes sur les suites données mais rien n'est prévu en cas de non-respect ou si peu : un rapport spécial publié au Journal Officiel.

 

De la même façon, la commission a la faculté de saisir les personnes titulaires du pouvoir disciplinaire afin qu'ils envisagent de sanctions (mais rien ne dit que cela doit forcément être suivi d'effet) et doit saisir le procureur de la République en cas de faits laissant penser à l'existence d'une infraction pénale (ce qui est déjà une obligation légale figurant en autre dans le code de procédure pénale)

 

Finalement, comme beaucoup d'autorités administrtives indépendantes, le principal intérêt de cet organe réside de son pouvoir de proposer au gouvernement toute modification législative concernant son domaine de compétence et surtout par la publication annuelle d'un rapport remis au Président de la République et aux parlementaires sur ses conditions d'exercice et les résultats de son activité. Celui-ci est rendu public.

 

Arrêtons nous un instant sur le rapport 2009 rendu public le 19 mai 2010.

 

 

Premier constat : le nombre de saisine a encore augmenté par rapport à l'année précédente mais la commission n'en déduit pas pour autant une augmentation du nombre de manquements à la déontologie. Elle liste au contraire plusieurs hypothèses susceptibles d'expliquer cette évolution (la notoriété grandissante de la commission, des parlementaires qui transmettent plus facilement les demandes combiné à une contestation croissante des citoyens, la possibilité de saisine offerte à certaines autorités depuis peu (2008 pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté), ...

Relativisons tout de même les choses : le nombre de saisines entre le 1e janvier et le 31 décembre 2009 est passé de 152 à 228.

 

 

Deuxième constat : le nombre de dossier à traiter augmente mais pas les moyens.

En effet, quelques chiffres résument parfaitement la situation : 153 dossiers instruits en 2009 donnant lieu à 120 avis dont 78 dans lesquels des manquements ont été constatés.

 

Tout cela s'est fait à moyens constants.
Ce que déplore les rédacteurs du rapport qui regrettent notamment que, dans de telles conditions, il soit impossible de rendre dans une année autant d'avis que la commission reçoit de saisines et qu'il faille en moyenne quasiment un an pour traiter un dossier.

 

Vient ensuite la synthèse des différents avis rendus avec un développement focalisé en grande partie sur la garde à vue dans lequel se trouve des décisions sur l'opportunité même du placement et le recours abusif à la mesure notamment lorsqu'il s'agit d'interroger une personne qui se rend elle même à la convocation, sur le respect des droits du gardé à vue (le suivi médical comme le cas d'une personne laissée en garde à vue alors que son état est incompatible avec la mesure). Il est également question du recours de fouilles à nu en l'absence de cadre légal et de la mise en oeuvre de procédés déloyaux tels que laisser croire que d'autres personnes seraient mises en cause en ayant avoué telle ou telle chose ou les problèmes de fidélité dans la reproduction des procès verbaux d'audition.

 

Le rapport contient aussi des avis concernant des cas de non-respect de la procédure soit au sujet des contrôles d'identité soit en refusant de recevoir certaines plaintes contre des gendarmes ou des policiers.

 

Ceci étant complété par des décisions relatives à des pratiques contestables (allant de l'absence d'information sur le droit d'accès à un avocat jusqu'au placement illégal d'une famille dans des locaux de rétention administrative) et des manquements susceptibles de constituer une infraction (injure à caractère raciste ou homophobe, violences  volontaires aggravées sur des étrangers en situation irrégulière, ...)

 

L'administration pénitentiaire n'est pas épargnée.

Là, le rapport montre des problèmes au sujet de la prévention des suicides, de la prise en charge médicale des détenus, du déroulement de la fouille intégrale, ...

 

 

Une disparition contestée

 

Il y a un autre passage intéressant dans ce document ; il s'intitule simplement "remise en cause de l'existence de la commission."
En quelques lignes, les rédacteurs rappellent que c'est par un communiqué de presse publié par le gouvernement le 9 septembre 2009 que les membres de la commission ont appris qu'un projet de loi déposé au Sénat proposait sa disparition en confiant les missions à une nouvelle autorité indépendante qui fait tend parler avant même qu'il n'existe : le défenseur des droits.

 

Si on en croit le projet de loi, la CNDS ne sera pas la seule victime puisque les attributions de ce nouvel organe incluront celles du médiateur de la République, du défenseur des enfants et donc de la commission.
Le Défenseur des droits pourra être saisi directement par toute personne s’estimant lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration. En matière de protection de l’enfance et de déontologie de la sécurité, il pourra également connaître des agissements de personnes privées.

Bref, une sorte de superman de la défense des droits et libertés qui sera encore plus fort en récupérant tous les super pouvoirs de celles et ceux qui faisaient le travail à sa place.

 

La commission devrait donc s'en réjouir dans l'intérêt du citoyen.

Mais, comme de plus en plus souvent lorsqu'il est question du futur Défenseur des droits, ce n'est pas vraiment le cas.

L'argumentation est presque toujours la même.

Plusieurs points sont développés dans le rapport

 

1- la nouvelle organisation n’offre aucune des garanties d’impartialité objective tenant au mode de désignation de ses membres. En effet, actuellement, hormis le président de la commission, les membres sont nommés par des autorités indépendantes du pouvoir exécutif alors que le futur Défenseur des droits serait désigné en conseil des ministres.

 

2- la réforme, s'il devait entrer en application, ferait disparaître le caractère pluridisciplinaire (juristes, un professeur de médecine légale, des universitaires...) apportant une diversité dans les connaissances et les expériences pour le remplacer par une organisation sensée s'y connaître dans tous les domaines dès lors que l'on parle de droits et libertés.

 

3- le projet de loi ne comporte aucune précision sur la qualité des délégués du défenseur pouvant participer au règlement des affaires en matière de déontologie.

 

4- le texte permet aux autorités mises en cause de s'opposer à la venue du défenseur des droits dans leurs locaux en raison d' "exigences de la défense nationale ou de la sécurité publique ou dans le cas de circonstances exceptionnelles" ; bref, c'est large et cela en fait des possibilités données aux autorités de se soustraire à tout contrôle.

 

5- le texte prohibe encore toutes investigations sur des réclamations émanées de personnes ou associations

témoins de manquements déontologiques ou de graves irrégularités en matière de reconduite à la frontière.

le motif invoqué ? l’impossibilité d’avertir les victimes de ces faits et d’obtenir leur accord lorsque, entre-temps, elles auront été expulsées.

 

6- le projet de loi donne également la possibilité au Défenseur des droits de rejeter de manière arbitraire une demande sans même avoir à motiver sa décision.

 

7- la modification prévue va diluer au sein d’une institution considérée comme devant être omnicompétente des attributions spécifiques nécessitant des connaissances et une approche particulières dans le domaine sensible des rapports entre les citoyens avec les forces de sécurité, les manquements commis dans l’usage de la force légale n’appelant ni « transaction » ni « règlement en équité »

 

8- la commission considère que le Défenseur des droits sera doté d'un pouvoir d'injonction fictif en s'appuyant sur le fait que le texte déposé au Sénat ne prévoit rien de plus que ce qui est déjà en place (à savoir, un simple rapport spécial)

 

9- les rédacteurs de ces quelques lignes relèvent enfin que les nouvelles dispositions pourraient permettre d'opposer le secret de l'enquête et de l'instruction au Défenseur des droits alors que la communication des pièces par l'autorité judiciaire, dans le système actuel, est soumise à 'un régime dérogatoire au principe du secret de l'instruction.

 

La CNDS conclut en notant qu'elle considère cette réforme comme une manifestation d'un recul des garanties démocratiques qu'elle offrait aux citoyens et précise que son travail de qualité ont au contraire été saluées par des institutions internationales dont certaines auraient exprimé le souhait de voir ses compétences et ses moyens élargis.

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