Le gouvernement a déposé début juillet au Sénat un projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes comportant entre autre des dispositions relatives à la protection des femmes contre les violences et les atteintes à leur dignité. A l'intérieur de cette partie, se trouve notamment un article 12 qui vise à modifier les articles 222-33-2 et 222-33-2-1 du code pénal concernant le harcèlement moral et les violences psychologiques commises au sein du couple. Il est ainsi simplement proposé de remplacer, dans les deux cas, le terme "agissements" par les mots "propos ou comportements" afin, comme le précise la ministre des droits des femmes dans l'exposé des motifs, "d'harmoniser la définition de l'élément matériel de l'infraction avec celle prévue par la loi n°2012-954 du 6 août 2012 pour le délit de harcèlement sexuel".
La commission des lois du Sénat a validé l'idée après avoir tout de même apporté une correction purement formelle.
En effet, suite à l'abrogation du texte en raison de la décision d'inconstitutionnalité datée du 4 mai 2012, le législateur a du rapidement réinstaurer une définition de l'infraction de harcèlement sexuel. Ce fut chose faite avec l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012 et, en particulier, avec le rétablissement d'un article 222-33 du code pénal.
Fini alors "le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, exerçant des pressions graves dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". A la place, le gouvernement et les parlementaires ont construit une incrimination à double niveau permettant d'envisager les situations dans lesquelles il y a une répétition de faits ainsi que celles où un acte unique est commis.
Seule la première hypothèse nous intéresse pour la suite. Il y est fait mention de la nécessaire existence de "propos ou comportements" à connotation sexuelle. Et c'est donc cette formule que Najat Vallaud-Belkacem souhaite voir apparaitre dans les articles du code pénal consacrés au harcèlement moral et aux violences psychologiques à la place du mot "agissements".
S'agit-il là d'un simple changement de termes visant uniquement à harmoniser la définition de l'élément matériel dans l'ensemble des infractions concernées ou peut-être plutôt d'une modification plus importante marquant une certaine évolution ?
La lecture des travaux préparatoires au projet de loi relatif au harcèlement est, à ce propos, assez intéressante.
Au départ, le texte porté par Christiane Taubira comportait, pour définir le harcèlement sexuel, une référence à l'expression "des gestes, des propos ou tous autres actes" à connotation sexuelle s'inspirant inspirant des dispositions de droit communautaire.
La commission des lois du Sénat a préféré remplacer le terme "gestes" par celui de "comportements" ; retenant ainsi les préconisations du groupe de travail sénatorial mis en place rapidement après l'abrogation du texte par le Conseil constitutionnel.
Les débats en séance plénière ont quant à eux abouti à une formule extrêmement modifiée où la référence à "tous autres actes" est simplement effacée et le terme "comportements" est éludé au profit des "agissements". Autrement dit, l'élément matériel supposait alors la présence de "propos ou agissements" à connotation sexuelle.
Durant la discussion, le sénateur Jacques Hyest, à l'initiative de cette nouvelle modification, a mis en avant "un souci de simplification" et le fait, selon lui, que le mot choisi "recouvrait beaucoup mieux les faits visés" pointant du doigt au passage les hésitation antérieures de rédaction entre la version du gouvernement et celle de la commission des lois.
Le rapporteur du texte a quant à lui émis un avis favorable en affirmant que cette solution apportait de "la précision à la définition du harcèlement" ajoutant que "la rédaction proposée satisfai[sai]t davantage aux exigences constitutionnelles sans compromettre la possibilité, pour la victime, d’apporter une preuve".
Christiane Taubira, même si elle ne s'opposa pas à cet amendement, fut toutefois beaucoup plus nuancée dans ses propos. Elle a notamment souhaité faire remarquer à la Haute assemblée que ce changement lui semblait "plus restrictif", que "les agissements" ne recouvraient pas nécessairement les comportements. Le champ d'application de l'incrimination s'en trouvait donc ainsi réduit.
La modification fut adoptée par les sénateurs qui votèrent ensuite sur l'ensemble du projet de loi. La commission des lois de l'Assemblée nationale n'y trouva au final rien à redire. L'examen du texte en séance permis par contre de revenir une fois encore sur la définition du harcèlement sexuel et, plus particulièrement, sur l'élément matériel.
Au moins trois amendements alors ont été déposés à ce sujet.
Le premier, rédigé par le député Georges Fenech, avait entre autre pour objet de reprendre l'expression "gestes, propos ou tous autres actes" à connotation sexuelle telle qu'elle avait été proposé à l'origine par le gouvernement. Dans le second, c'est notamment monsieur Jean-Frédéric Poisson qui proposait trois modifications parmi lesquelles - pour ce qui nous intéresse - celle de revenir à la version telle que rédigée par la commission des lois du Sénat. Enfin, leur consœur madame Pascale Crozon opta plutôt pour la formule "propos ou comportements" à connotation sexuelle. Ce fut cette solution qui fut retenue pour figurer dans le texte actuellement en vigueur.
L'auteur du premier amendement développa devant ses collègues la nécessité de fixer "des critères incontestables et surtout prévisibles pour le justiciable" craignant ainsi que le flou de la rédaction de la définition du harcèlement sexuel ne soit contraire au principe de légalité des délits et des peines et ne conduise à une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. L'argumentation du parlementaire concernait toutefois beaucoup plus une autre partie de l'incrimination et son texte contenait une révision à la baisse des peines encourues. L'avis fut du coup défavorable tant pour la commission que pour la ministre de la justice.
La discussion sur le second amendement ne fut pas d'un plus grand intérêt et finit par subir le même sort que la modification de son collègue.
Notons tout de même que Christiane Taubira profita de l'occasion pour repréciser un peu les choses : "Je rappellerai juste que le texte du Gouvernement comportait les termes « comportement » et « environnement ». Puis, les débats au Sénat ont conduit à remplacer le premier par « agissement » et le second par « situation ». Il aurait en effet été possible pour l’Assemblée de changer […] mais les débats n’ont pas fait apparaître de nuance déterminante entre les deux, justifiant que nous compliquions le processus législatif."
Quelques instants plus tard, ce fut au tour de la députée Crozon de défendre son amendement. Son adoption ne posa guère de soucis. Le compte rendu des débats laisse d'ailleurs clairement apparaitre la quasi absence de discussion. La lecture de l'exposé des motifs du texte rédigé par la parlementaire en revanche nous renseigne tout de même un peu plus. On y retrouve notamment la reprise de l'argumentation tenue par la Garde des sceaux devant les sénateurs sur le caractère plus restrictif de l'emploi du terme "agissements" plutôt que celui de "comportements" ; le premier nécessitant une attitude positive.
Voilà donc l'effet que ce changement pourrait donc avoir également en ce qui concerne le harcèlement moral et les violences psychologiques. Cela reviendrait à élargir le champ d'application des actes susceptibles d'être sanctionnés.
Mais, remplacer quelques mots pour caractériser une ou plusieurs infractions est-il vraiment la solution nécessaire et suffisante pour marquer un réel changement ?
Si pour définir le harcèlement sexuel, c'est l'ensemble de l'article 222-33 du code pénal qui a été réécrit, ce n'est pour le moment pas le cas des autres textes en cause. Et leur rédaction actuelle - voire même dans la version modifiée comme le prévoit le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes - n'est pas exempte de critiques.
Ainsi, s'il devait être rédigé comme voulu actuellement par le gouvernement, l'article 222-33-1 du code pénal serait le suivant :
"le fait de harceler autrui par des comportements ou propos répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende."
Construit à partir de l'infraction de harcèlement sexuel dans son ancienne version, cette disposition conserve aujourd'hui tous ses défauts et en particulier une suite d'imprécision, un chemin à suivre complètement flou pour caractériser cette infraction.
Tout d'abord, soyons moqueur et remarquons que le harcèlement est le fait de harceler. Certains dictionnaires n'auraient pas mieux fait.
Notons également que les faits visés semblent plus défini en fonction d'un hypothétique résultat que par eux-mêmes.
Bref, substituer quelques mots sera-t-il suffisant pour marquer une réelle évolution ?
En ce qui concerne les violences psychologiques au sein du couple, il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que - pour améliorer les choses - le texte concerné - issu de la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 - n'est qu'une transposition au sein de toutes les formes de couples de celui applicable en matière de harcèlement moral. Les critiques adressées à l'un sont donc toutes autant légitimes à l'encontre de l'autre.
Bref, substituer quelques mots sera-t-il suffisant pour marquer une réelle évolution ?
Ne faudrait-il mieux procéder à une véritable réécriture de ces dispositions ?
Tel ne semble pas pour le moment l'avis de la commission des lois du Sénat.
L'examen prochain du projet de loi en séance modifiera peut-être les choses...ou pas.