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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 09:17

Engager une comédienne pour qu'elle joue durant un certain temps dans un célèbre théâtre parisien le rôle d'Elvire dans Dom Juan de Molière tout en lui promettant d'avoir la priorité si une tournée devait avoir lieu.

Cela ressemble plus ou moins à la situation dans laquelle un employeur vous laisse entendre, au moment de l'embauche, que même si l'emploi à pourvoir n'est pas génial, il y aura très prochainement de formidables possibilités d'évolution ; en particulier le renouvellement du contrat quand il est à durée déterminée voir même la signature du fameux CDI.

 

Dans un cas comme dans l'autre, convenons aisément que ces belles paroles ont parfois une tendance à ne pas être accompagnées de faits. Pas toujours uniquement à cause de l'employeur d'ailleurs.

 

Bien souvent, aucune suite n'est donnée. Comment pourrait-il en être autrement quand rien n'est réellement formalisé ?
Et puis, plus encore du côté des artistes, on se dit sans doute que c'est le jeu, qu'on aime la liberté pour ses bons et ses mauvais côtés, qu'on a l'habitude de prendre des risques, qu'on ne peut pas gagner à tous les coups et qu'on ne va quand même pas mêler la justice à tout cela.

 

Un arrêt rendu le 3 mai dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation démontre pourtant tout à fait le contraire.

 

 

En l'espèce, le contrat à durée déterminée conclu pour les représentations à Paris entre la comédienne et la société de théâtre prévoyait expressément que "l'artiste ayant créé le rôle pour lequel elle est engagée a priorité de droit pour une éventuelle tournée, sachant que les conditions générales, notamment financières, feront l'objet d'un contrat ultérieur avec le ou les producteurs de la tournée. Il est entendu que les conditions de l'engagement de l'artiste seront négociées d'un commun accord et de bonne foi."


Les représentations ont pris fin le 31 décembre 2007. Une tournée a bien été organisée en septembre  2008 par une autre société. La comédienne concernée n'y a pas participé ; raison pour laquelle elle a saisi la justice afin de voir condamner ceux qui s'étaient engagé auprès d'elle.

 

Pour sa défense, la société de théâtre mise en cause avança notamment la clause litigieuse comportait en fait deux conditions suspensives et qu'elle ne pouvait s'appliquer que si une tournée était effectivement organisée et si celle-ci était produite par elle ; ce qui n'était pas le cas en l'occurrence.

Elle ajouta, à titre subsidiaire, que, à supposer que la priorité de droit pour le rôle s'applique quelqu'en soit le producteur, son obligation se limitait à informer l'artiste de l'identité du producteur pour qu'elle fasse valoir son droit auprès de lui et qu'en tout état de cause, le contrat de travail avait pris fin au 31 décembre 2007.

 

Une argumentation qui n'est pas parvenue à convaincre les juges du fond.

Les magistrats de la cour d'appel de Paris ont au contraire retenu que si la relation de travail a cessé, certains engagements contenus dans le contrat demeure ; en particulier la clause qui nous s'occupe.

Ils en ont fait d'ailleurs une interprétation bien différente qui semble correspondre davantage à la lettre de la disposition en discussion.

Ils constatèrent en effet que "le droit de priorité contractuellement fixé, ne l'a été qu'à la condition que la tournée ait lieu" et il devait donc s'appliquer "avec le ou les producteurs de la tournée" ; seules les conditions de l'engagement devaient être négociées d'un commun accord et de bonne foi. L'opposition éventuelle du metteur en scène n' ayant pas été prévu, il ne pouvait faire échec au respect de l'obligation souscrite.

 

Autrement dit, dès lors qu'une tournée avait lieu, la clause introduite à l'embauche garantissait à la comédienne sa participation.

Le producteur n'ayant pas ratifié l'engagement, la société de théâtre n'avait pas satisfait à son obligation et devait du coup indemniser le préjudice subi de ce fait.

 

Et la note fut plutôt du genre salé.

Outre l'aspect purement financier, ont été pris en compte entre autre un préjudice professionnel (le nom de la comédienne a été maintenu sur les publicités de la tournée, les critiques ont été faites sur ce nom alors que c'était sa remplaçante qui était sur scène et un préjudice moral.

 

 

La chambre sociale valide cette analyse et en profite pour donner une qualification juridique à ce type d'engagement.

Pour les magistrats de la haute cour, il s'agit là d'une promesse de porte-fort. Un contrat par lequel lequel l'un s'engage envers l'autre à ce qu'un tiers ratifie ou exécute un engagement.
SI ce dernier, le producteur de la tournée en l'occurrence, refuse de ratifier la promesse, il restera étranger à la relation contractuelle. Le promettant en revanche, la société de théâtre dans notre espèce, pourra en subir les conséquences  en voyant sa responsabilité engagée pour non respect quant à l'exécution de ses obligations.

 

Et, comme le rappelle la Cour de cassation, il ne doit pas seulement tout faire pour atteindre l'objectif et tant pis si celui-ci n'est pas atteint puisqu'il s'agit là d'une obligation de résultat ; le simple constat que la comédienne n'ait pas participé à la tournée dès lors que celle-ci avait lieu suffit pour que la responsabilité de la société de théâtre, alors même qu'elle n'est ni organisatrice ni productrice, puisse être engagée.

 

C'est tout de même un bien gros risque qui a été pris. S'engager à ce point sur l'avenir tout en ignorant, au moment de la signature, un nombre important d'éléments de premier ordre. Surtout lorsque l'on voit ce que cela va coûter maintenant et peut-être pas que sur un plan financier. Une très mauvaise opération en somme.

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