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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 12:15

Pour bien faire, mieux vaut commencer par le début...


 

L'intention semblait louable : la faille juridique permettant aux employeurs de proposer des reclassements indécents aux salariés licenciés pour motif économique avait été repérée ; le travail législatif allait corriger l'erreur...
Une proposition de loi fut alors déposée dans cette optique, examinée en commission et un peu modifiée avant d'être adoptée à la quasi-unanimité des députés.
Le Sénat finit à son tour par valider le texte avec tout de même une remarquable hostilité de la part des socialistes siégeant dans cette assemblée.

Et voilà qu'apparaissent les premières réactions...

 

 

Au nom du groupe PS, Jacqueline Alquier (Tarn), oratrice principale sur ce texte, estime dans un communiqué qu'il "n'apporte rien de concret aux salariés et constitue en fait la première étape du désengagement des employeurs de leur obligation de reclassement".

 

Selon elle, cette proposition de loi du Nouveau Centre "vise à éviter aux patrons" une "condamnation financière lorsque les offres de reclassement dans les pays à bas coût de main-d'oeuvre n'ont pas été présentées".

 

Elle vise aussi à éviter "l'impact dévastateur sur les salariés licenciés et sur l'opinion publique de l'information sur les niveaux de salaire pratiqués dans les pays émergents".

 

Xavier Mathieu, devenu presque malgré lui l'un des plus célèbres syndicalistes de France, dénonce une loi faite pour le MEDEF qui constitue un scandale entraînant purement et simplement la mort de l'obligation de reclassement.

 

 

 

Alors véritable avancée de la législation sociale en faveur des salariés ou simple tour de passe-passe cachant un cadeau pour l'employeur ?

 

 

Pour bien commencer, reprécisons le texte tel qu'il a été adopté par les deux assemblées :

 

Art. L.1233-4


Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéresse ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

 

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

 

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.



Art. L. 1233-4-1


Lorsque l'entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l'employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation.

 

« Le salarié manifeste son accord, assorti le cas échéant des restrictions susmentionnées, pour recevoir de telles offres dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l'employeur. L'absence de réponse vaut refus.

 

« Les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu'au salarié ayant accepté d'en recevoir et compte tenu des restrictions qu'il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres. Le salarié auquel aucune offre n'est adressée est informé de l'absence d'offres correspondant à celles qu'il a accepté de recevoir

 


 

A première vue, l'obligation de reclassement semble toujours présente et son cadre législatif renforcé.

 

En s'attardant un peu plus sur le texte, on peut entrevoir le cadre fixé pour l'exécution de ce devoir de l'employeur :

 

- une offre de reclassement doit être écrite et précise

- elle doit concerner un poste dans l'entreprise ou à l'intérieur du groupe

- le reclassement proposé doit être sur un emploi de même catégorie ou équivalent assorti d'une rémunération équivalente ou, à défaut et avec l'accord exprès du salarié concerné, sur un emploi d'une catégorie inférieure.

 

Bref, quasi rien qui change par rapport à la version précédente ; à peine un tout petit détail... mais c'est peut-être bien lui qui risque d'entraîner quelques bouleversements...

 

Tout viendrait de l'ajout des mots "assorti d'une rémunération équivalente" dans le nouvel article L.1233-4...

Le moins que l'on puisse dire c'est que la notion est floue : qu'est ce qu'une rémunération équivalente ?
Les contentieux risquent de se multiplier et ce sont les juges qui, petit à petit, vont donner l'interprétation qu'il faut en avoir.

Notons tout de même que la rémunération équivalente n'est prévu qu'en cas de reclassement sur un emploi de même catégorie ou sur un emploi équivalent.

 

 

Et quant est-il du nouvel article L.1233-4-1 du code du travail ?

En effet, si le premier texte pose l'obligation de reclassement de manière générale en fixant le cadre législatif qui convient, la proposition de loi instaure un article ciblant très précisant une situation particulière.

 

Les nouvelles dispositions visent le cas spécifique où l'entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national et uniquement dans ce cas.
Que se passe-t-il alors ?

 

L'employeur a l'obligation de demander au salarié (préalablement au licenciement) s'il accepte de recevoir des offres hors du territoire et quelles pourraient être les restrictions notamment au regard de la rémunération et de localisation géographique. (rien n'est précisé quant au formalisme de la demande)

 

La balle est alors dans le camp du salarié :

 

- soit il accepte avec d'éventuelles restrictions ; il doit alors en informer l'employeur dans un délai de 6 jours ouvrables à compter de la réception de la proposition. (toujours rien de prévu quant aux conditions de forme)

 

- soit le salarié refuse.

Dans ce cas, deux possibilités s'offrent à lui : en informer l'employeur ou tout simplement ne pas donner suite puisque l'absence de réponse vaut refus.

 

Les offres de reclassement hors du territoire national (qui doivent être écrites et précises) sont ensuite proposées à ceux qui ont accepté de les recevoir (en tenant compte des éventuelles restrictions) ; ceux-ci restant libres de les refuser.

 

Et les autres (les salariés concernés par un licenciement économique ayant refusé de recevoir des propositions de reclassement hors du territoire national émanant d'une entreprise implantée hors du territoire national) ?

 

Deux interprétations semblent possibles dans ce cas :

 

- si on ne lit que l'article L. 1233-4-1 du code du travail, le constat est vite fait : rien n'est prévu ; le texte ne s'intéresse qu'aux salariés ayant accepté la demande de l'employeur.

On pourrait même conclure que l'employeur n'a plus d'obligation de reclassement à sa charge en ce qui concerne les salariés qui ont refusé sa proposition de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national.

 

- mais si on pousse un peu plus loin le raisonnement et que l'on n'oublie pas que l'article L. 1233-4 est lié avec celui qui lui précède pour former une sous section intitulée "obligations d'adaptation et de reclassement"... bref, si on prend en compte le fait que l'on ne peut pas lire l'un sans l'autre, l'interprétation peut être différente :

 

L'article L. 1233-4 du code du travail fixe ce qu'on pourrait qualifier de régime général de l'obligation de reclassement alors que la disposition qui devrait compléter la sous-section ne concerne qu'un cas bien précis.

Et du coup, on peut conclure que, comme bien souvent en matière juridique, si l'exception n'a pas vocation à s'appliquer alors on en revient au principe.

Donc, il est possible de penser que si un salarié refuse la demande de se voir proposer des offres de reclassement hors du territoire national, c'est l'article L. 1233-4 qui doit être appliqué (puisque rien n'est prévu dans l'article L. 1233-4-1.)

 

Pour ma part, j'ai une petite préférence pour la deuxième solution.

D'ailleurs, rien ne dit qu'un salarié qui accepte de recevoir des offres hors du territoire national finira forcément par aller travailler à l'étranger ; bien au contraire : rien n'empêche qu'il soit reclasser dans un emploi situé en France.


 

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