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7 août 2013 3 07 /08 /août /2013 15:13

Dernièrement, la commission des lois du Sénat a déposé sa version modifiée du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Un texte comportant de multiples dispositions dans de nombreux domaines et notamment certaines relatives à la protection des femmes contre les violences et les atteintes à leur dignité.

Le texte du gouvernement était déjà bien fourni en terme de nouveautés. Mais, les parlementaires ayant commencé à l'étudier n'ont pu s'empêcher d'y rajouter une petite touche. On notera à ce sujet un amendement proposé par la sénatrice Catherine Tasca instaurant un article 12 bis dans le projet de loi.

Une modification qui vise à ajouter la référence au harcèlement sexuel à l'article 222-33-3 du code pénal qui prévoit la répression de l'enregistrement et de la diffusion de certaines atteintes volontaires à l'intégrité de la personne.

Issu de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, la disposition en cause a, à l'origine, pour objet de sanctionner les faits dits de "happy slapping" ; à savoir le fait de filmer l'agression d'une personne à l'aide de divers moyens comme un téléphone portable ou autres smartphones.

Réagissant à la multiplication de tels agissements, le législateur a alors modifié la loi de manière originale en considérant que celui qui "enregistre sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission" de certaines infractions devient juridiquement le complice de l'auteur des faits filmés et encourt ainsi une peine identique. La diffusion des images constitue quant à elle une infraction spécifique punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende quelque soit la nature et la gravité de l'infraction.

Seuls les faits de tortures et actes de barbarie, la plupart des violences volontaires, les viols et les autres agressions sexuelles sont au départ concernés.

Une répression qui va bien au delà de ce qui pouvait être qualifié au moment du vote de la loi de "happy slapping" et qui pourrait même produire l'effet inverse que celui escompté. En effet, même si cela peut paraître un peu tiré par les cheveux, filmer par exemple la commission de violences illégitimes pour les dénoncer hors d'un cadre policier ou judiciaire peut théoriquement être sanctionné puisque l'enregistrement et la diffusion des images litigieuses ne sont pas punissables, selon le denier alinéa du texte, que si cela résulte de "l'exercice normal normal d'un profession ayant pour objet d'informer le public" ou que l'opération a été réalisé "afin de servir de preuves en justice".

Sans s'attarder, on remarquera encore brièvement certaines conséquences de la mise en place de ce système. Ainsi, l'application de cet article peut conduire à d'hypothétiques résultats qui laissent pour le moins interrogatif.
Dans le cas d'actes de tortures et de barbarie, la peine encourue en l'absence de circonstance aggravante est pour l'auteur des faits - comme pour celui qui les filme - de quinze ans de réclusion criminelle. La diffusion des images est quant à elle punie d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.
Regardons à présent ce qu'il en est en cas de violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail commises sur un mineur de moins de quinze ans. Là, la peine encourue pour l'auteur et la personne enregistrant les faits est de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. Celui qui diffuserait de telles images risquerait quant à lui toujours jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75000 euros d'amende.

Bref, dans la première hypothèse, le fait de commettre certains faits ainsi que l'enregistrement de ceux-ci semblent être plus grave que de les diffuser. Ce qui est l'exact opposé dans le second cas.

On notera de plus que de nombreuses infractions ne sont pas concernées par ce merveilleux système. On aurait d'ailleurs pu s'attendre à ce que la liste prévue à l'article 222-33-3 du code pénal soit petit à petit de plus en plus importante.

Rien de tel jusqu'à ce jour. Jusqu'à ce qu'une sénatrice se souvienne que ce texte existe dans notre droit français et qu'elle décide de s'en servir pour venir donc réprimer l'enregistrement et la diffusion d'images relatives à des faits de harcèlement sexuel tels que redéfinis par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012.

L'étude des travaux de la commission des lois ne nous apporte guère d'informations sur la motivation d'un tel ajout. Tout juste apprend-t-on de la part de Mme Tasca que "grâce aux smartphones, l'enregistrement de scènes de harcèlement se banalise, notamment chez les jeunes, qui les font ensuite circuler sur internet". Le propos ne fera pas l'objet de discussion. Virginie Klès, rapporteur du texte, émettra assez rapidement un avis favorable en précisant "Internet est en la matière particulièrement néfaste. Votons cet amendement en connaissance de cause : la diffusion de l'enregistrement est punie de peines supérieures aux faits eux-mêmes : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour les faits de harcèlement sexuel, mais cinq ans et 75 000 euros pour leur diffusion - sur Internet, la diffusion est permanente et fait fi des frontières".

On s'étonnera alors de constater que seuls les faits de harcèlement sexuel ont le droit à ce traitement de faveur. Mais après tout, pourquoi pas...

On s'interrogera sur le fait de savoir si l'instauration de ce changement dans un texte traitant de l'égalité entre les femmes et les hommes est réellement la meilleure option ; en particulier au cœur d'un chapitre consacré à la protection des femmes victimes de violences. Mais après tout, pourquoi pas...

On se posera d'autres questions et puis on finira tout de même par aller jeter un œil sur le texte réprimant à nouveau le harcèlement sexuel.

On se rappelera assez rapidement que, dans cette nouvelle version, le législateur a voulu incriminer d'une part "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante" et d'autre part " le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers".

On se dira aussi qu'il n'y a pas de raison que certaines des critiques brièvement exposées plus haut concernant l'article 222-33-3 du code pénal dans sa version d'origine ne concernent pas l'extension aux faits de harcèlement sexuel.
Illustrons le tout, comme précédemment, avec un exemple un peu exagéré. Considérons que l'on peut facilement établir la présence de comportements à connotation sexuelle et de l'ensemble des éléments prévus par la loi (ce qui est très loin d'être le plus simple à démontrer). Imaginons qu'un collègue informé de la situation décide, pour venir en aide, de filmer les acte répréhensibles afin de les ajouter au dossier qui devrait être transmis par exemple à son supérieur, aux ressources humaines ou bien encore au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
L'intention est louable. Mais, avec une lecture stricte de la loi, elle constitue une infraction.

Enfin, sans se livrer ici à une analyse détaillée de ces dispositions, on remarquera la complexité qu'il peut y avoir à caractériser l'ensemble des éléments constitutifs de harcèlement sexuel. Il est du coup permis de se demander ce qu'il en sera de la mise en application de l'article 222-33-3 du code pénal. Le fait notamment que le texte en question contienne une notion aussi floue que "des images relatives à la commission de ces infractions" laisse pour le moins songeur. Comment cela doit-il être interprété ? Ne faut-il entendre par là que les images qui montrent l'infraction entrain de se commettre ? Faut-il au contraire avoir une lecture beaucoup plus large et considérer qu'il s'agit de toutes images ayant un lien avec la commission de l'infraction ?
Et s'il faut plutôt opter pour la première solution, quant sera-t-il pour les faits de harcèlement sexuel ?

Beaucoup trop de questions. Nan, décidément, l'article 222-33-3 du code pénal semble, par son manque de clarté et de précision, plus porter atteinte au principe de légalité criminelle qu'il ne vient apporter un quelconque avantage.
Et, aller chercher ce texte pour y ajouter le cas du harcèlement sexuel à la liste préexistante n'était peut-être finalement pas la meilleure idée.

La commission des lois a remis sa copie du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes à la fin du mois de juillet. Le texte devrait être étudié en séance plénière au cours de cet automne. Nous verrons alors ce qu'il adviendra de cet article 12 bis.

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