Quelques députés, guidés par le fameux intérêt général et peut être un peu par certaines réactions de citoyens suite à des affaires mises en avant notamment par le biais de nos si chers médias,
ont décidé de se pencher sur la situation actuelle de la légitime défense dans le droit pénal.
En effet, constatant "la multiplication de cas où des propriétaires font de la garde à vue, sont mis en examen voire incarcérés alors qu’ils ont simplement voulu se défendre sous le coup de
la panique de voir un ou plusieurs individus qui tentaient de les cambrioler", ces législateurs souhaitent, en déposant une proposition de loi, un "renforcement de la protection des personnes et de la propriété privée."
Pour cela, ils envisagent de "redéfinir la légitime défense en cas d’intrusion par effraction dans un logement d’habitation clos afin de protéger ses occupants et ses biens" ou, plus
précisément, de modifier en partie l'article 122-6 du code pénal qui prévoit les cas dans lesquelles un individu est présumé avoir agi en état de légitime de défense.
Donc, contrairement à ce que laissent penser l'intitulé et l'exposé des motifs de la proposition de loi, le texte déposé ne vise pas à modifier les conditions de la légitime défense en tant que
telle mais plutôt, en partant sur le terrain de la preuve, à réécrire un cas très précis de présomption.
Avant de s'intéresser au contenu de cette oeuvre d'initiative parlementaire, il ne parait pas superflu de prendre quelques lignes pour revenir sur la notion de légitime défense.
Il existe dans le droit français des dispositions qui, malgré l'existence d'une infraction, vont faire obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale de l'auteur.
Cela peut notamment être lié à la personnalité de celui qui commet l'acte répréhensible ; l'abolition du discernement en raison d'un trouble pschychique ou neuropschychique est sans nul doute le
premier exemple qui vient à l'esprit.
Il peut également s'agir d'événements plus objectifs qui vont venir faire perdre le caractère délictueux et ainsi neutraliser immédiatement l'infraction aux yeux de tous.
On parle de faits justificatifs qui ont un effet sur les faits eux-mêmes.
Ainsi, l'acte de perquisition, constitutif en principe d'une infraction pénale, est justifié par les articles du code de procédure pénale dès lors qu'il s'inscrit dans le cadre légal.
De la même façon, un chirurgien qui opère un individu va forcément portait atteinte à l'intégrité physique mais il ne sera pas sanctionné pour autant tant qu'il respecte les conditions fixés par
les textes.
...
L'article 122-5 du code pénal, dans une rédaction un peu maladroite, vient justifier l'accomplissement d'un acte de légitime défense en distinguant selon que l'agression se
fasse à l'encontre de personne ou de bien ; face à une atteinte, l'acte accompli devient socialement acceptable et n'est pas constitutif d'une infraction.
L'agression :
Concernant une atteinte commise à l'encontre d'une ou plusieurs personnes, le législateur ne pose pas de condition particulière en notant au contraire qu'il peut s'agir d'une atteinte contre soi
même ou contre autrui.
Il est également à remarquer que toutes les formes d'agressions sont prises en compte aussi bien physique que morale.
En revanche, les conditions sont plus strictes dès que l'attaque est porté sur un bien : il peut s'agir que d' "interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit."
Dans les deux cas, l'agression doit être réelle, actuelle ou imminente et injuste.
L'acte de défense :
Là encore, les règles différent selon qu'il s'agisse de commettre un acte répréhensible afin de protéger des personnes ou des biens.
Dans le premier cas, faute de précision, toute infraction peut potentiellement être justifiée mais, dans la seconde hypothèse, l'homicide volontaire est explicitement exclu par le législateur.
Ajoutons que de toute façon, la défense doit être nécessaire, voire strictement nécessaire pour la légitime défense des biens, et les moyens employés doivent être proportionnés à la gravité de
l'attaque.
Ce sont d'ailleurs souvent ces deux points qui vont poser le plus de difficultés.
Et si on part sur le terrain de la preuve, c'est en principe à celui qui se dit en état de légitime défense d'établir que les différents éléments précédemment énumérés sont effectivement réunis.
Toutefois, le législateur a, dans l'article 122-6, instauré à titre d'exception deux cas très précis dans lesquels l'acte est présumé avoir été accompli en état de légitime défense :
- "repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité"
- "se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence"
Laissons de côté la seconde hypothèse et intéressons nous à la première qui est au coeur du texte proposé ; les auteurs de celui-ci souhaitent en effet le réécrire de la manière suivante :
"pour protéger ses occupants et ses biens en cas d’intrusion par effraction dans un logement d’habitation privé clos"
Comme le notent les rédacteurs, il ne s'agit plus seulement de repousser un individu mais de protéger les occupants et les biens.
La référence à la nuit disparaît.
"L'entrée par effraction, violence ou ruse" devient une "intrusion par effraction"
Le "lieu habité" se transforme en "logement d'habitation privé clos"
Que faut-il en penser ?
Peut-être d'abord et avant tout l'étonnement de constater que, alors que les parlementaires à l'initiative de cette proposition veulent étendre l'application des dispositions en vigueur, le texte
tel qu'il est rédigé semble loin de permettre d'atteindre un tel but :
En effet, sans que l'on comprenne bien pourquoi, l'entrée par ruse ou violence est écartée pour ne laisser subsister que la situation d'effraction définie à l'article 132-73 du code pénal comme
"le forcement, la dégradation ou la destruction de tout dispositif de fermeture ou de toute espèce de clôture" ainsi que "l'usage de fausses clefs, de clefs indûment obtenues ou de
tout instrument pouvant être frauduleusement employé pour actionner un dispositif de fermeture sans le forcer ni le dégrader" ; ce qui a pour effet notable de réduire le champ d'application
contrairement à l'objectif pourtant clairement affiché.
Le choix de l'expression "protéger ses occupants et ses biens" est également source de questionnements notamment sur le fait de savoir jusqu'où doit aller cette protection mais aussi sur
le commencement de celle-ci.
Les juges interprètent le texte actuel en faisant jouer la présomption non seulement à l'instant où l'on repousse mais bien pendant tout le temps où l'on se trouve en présence de l'intrus tant
qu'il n'est pas mis hors d'état de nuire.
Avec le remplacement par une référence à la protection des biens et des personnes, les frontières deviennent plus floues et, au mieux, les solutions pourraient être similaires à celles rendues en
se basant sur la rédaction en vigueur de l'article 122-6 du code pénal.
De la même façon, l'expression "lieu habité" permet de viser un spectre très large d'hypothèses de bâtiment quels qu'en soient l'usage ou la nature dès lors qu'il est habité ; "le
logement d'habitation privé clos" aurait plutôt tendance une fois encore à réduire le possible champ d'application du texte.
Bref, sous prétexte de vouloir renforcer la protection des personnes et de la propriété privée, on en arrive à des changements non-justifiés qui n'ont que peu d'intérêt voire sont contre
productifs au regard de l'objectif de départ.
L'étonnement encore et toujours de voir des députés annoncer qu'ils envisagent de redéfinir la légitime défense en cas d’intrusion par effraction dans un logement d’habitation clos afin de
protéger ses occupants et ses biens et de constater qu'ils n'en font rien ; préférant modifier de manière critiquable un article concernant la charge de la preuve plutôt que de s'attaquer aux
conditions de fond.
Mais finalement à quoi bon tout cela ?
Dans l'exposé des motifs, les auteurs du texte parle d'"étendre les cas de légitime défense" en espérant lutter contre "la multiplication de cas où des propriétaires font de la garde
à vue, sont mis en examen voire incarcérés alors qu’ils ont simplement voulu se défendre sous le coup de la panique de voir un ou plusieurs individus qui tentaient de les cambrioler."
En fait, il n'en est rien ou si peu : avec cette proposition de loi, ils ne font que réécrire ce qui reste une présomption simple de légitime défense susceptible de céder devant la démonstration
de la preuve contraire.
En effet, il ne suffit pas d'avoir voulu protéger les occupants et les biens suite à l'intrusion par effraction d'un individu dans un logement d'habitation privé clos pour être en état de
légitime défense et ainsi voir son acte justifié ; encore faut il que soit réunies les conditions de l'article 122-5 du code pénal précédemment évoquées.
Concernant la garde à vue, la mise en examen, l'incarcération ou, de manière plus générale, la mise en cause du gentil propriétaire qui ne fait que se défendre sous le coup de la panique,
complétement illusoire de voir totalement disparaître cela dans la mesure où des faits constitutifs d'une infraction ont tout de même été commis à moins que le législateur ne décide de commencer
à construire une route dangereuse vers une reconnaissance d'un droit à l'auto-défense.