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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 16:32

Au hasard de mes recherches un peu orientées, j'ai récemment découvert que la Cour de cassation venait de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnelle relative à l'article 35, 3e alinéa,b) de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

 

C'est en fait à l'occasion d'une procédure engagée devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de diffamation publique envers un particulier que les juges amenés à statuer sur cette affaire ont été interrogés sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition précédemment citée qui interdit au prévenu de diffamation de rapporter la preuve de la vérité dès lors que l'imputation se réfère à faits datant de plus de dix ans.

 

Dans l'espèce, étaient mis en avant des atteintes à la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au droit à un procès équitable et au respect des droits de la défense garantis par l'article 16 du même texte.

 

 

En effet, le législateur a depuis longtemps prévu qu'une personne poursuivie pour avoir imputé à autrui un fait qui porte atteinte à son honneur ou à sa considération puisse pour faire obstacle à la sanction, en se fondant sur l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, apporter la preuve de ce qu'il affirme ; il s'agit de l'exception de vérité.

 

En raison de la présence de certains motifs d'exclusion, cette faculté n'est pas toujours ouverte ; tel est notamment le cas "lorsque l'imputation se réfère à des faits remontant à plus de dix années."

 

 

 

Ayant été jugée recevable, la question fut transmise à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui s'assura à nouveau que la disposition législative contestée était bien applicable au litige, qu'elle n'avait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et que que l'interrogation avait un caractère sérieux ; elle décida alors le 15 mars 2011 qu'il y avait lieu de renvoyer tout cela devant le Conseil constitutionnel.

 

Ne reste plus qu'à attendre encore un pour connaître le point de vue des "Sages" sur ce sujet.

 

 

En attendant, il peut être rappelé que la Cour européenne a déjà eu à prendre position sur cette disposition au regard du droit à liberté d'expression tel qu'il est prévu par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme dans un arrêt Mamère contre France rendu le 7 novembre 2006.

 

En l'occurrence, il s'agissait de statuer suite à la condamnation par les juridictions françaises de Noël Mamère pour complicité de diffamation publique en raison de propos qu'il avait tenus au cours d'une émission de télévision par lesquels il mettait directement et personnellement en cause un spécialiste des problèmes de radioactivité qui aurait contribué à diffuser des informations erronées sur les effets en France de la catastrophe de Tchernobyl.
La preuve de la vérité des faits n'avait pu être faite en raison puisqu'ils remontaient à plus d'une dizaine d'années et la bonne foi n'avait pas été retenue en raison du manque de modération dans les propos.

 

 

Suivant le schéma habituel, les juges européens reconnurent alors assez rapidement que la condamnation en question constituait bien une une ingérence de l'Etat français dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, qu'elle était prévue par la loi et qu'elle avait pour but de protéger la réputation d'autrui.

 

Ne restait plus ensuite qu'à s'interroger un peu plus longuement pour déterminer si cette ingérence était "nécessaire dans une société démocratique" pour atteindre le but visé ; c'est à dire vérifier s'il existait un "besoin social impérieux", si, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, l'intervention de l'Etat était "proportionnée au but poursuivi" et si les motifs invoqués pour la justifier apparaissaient "pertinents et suffisants."

 

Concernant l'exclusion de l'exception de vérité en raison de l'ancienneté des faits, le gouvernement français justifiait la règle par le besoin de fixer certaines limites pour éviter que des faits puissent être contestés indéfiniment.

 

Une argumentation qui n'avait pas convaincu la cour qui affirme dans sa décision qu'elle conçoit la logique d'une limite temporelle notamment en raison de la difficulté qu'il y a à évaluer ce type de preuve mais que le temps qui passe peut parfois, notamment "lorsqu'il s'agit d'événements qui s'inscrivent dans l'Histoire ou relèvent de la science", au contraire être un atout avec la survenance "de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité."

 

Au final, après avoir également examiné le rejet de l'exception de bonne foi, les juges concluent à une violation du droit à la liberté d'expression.

 

Mais il ne faut pas oublier que la cour de Strasbourg n'exerce en principe pas son contrôle sur le contenu des dispositions ; elle ne fait que vérifier, dans un cas précis et au regard de l'ensemble de l'affaire, la conformité à convention.

Dans l'affaire concernant Noël Mamère, il ressortait clairement que pour les juges nous nous trouvions dans un cas qui exigeait un niveau élevé de protection notamment en raison du fait que les propos relevaient de sujets d'intérêt général, qu'ils s'inscrivaient dans un débat public d'une extrême importance et que l'auteur s'exprimait en sa qualité d'élu et dans le cadre de son engagement politique.

 

L'exercice auquel va se livrer le Conseil constitutionnel n'est pas tout à fait le même.
Les Sages devront dire, si en règle générale, l'interdiction de faire la preuve des faits datant de plus de dix ans porte atteinte au droit à la liberté d'expression, au droit à un procès équitable ou aux droits de la défense.

 

Affaire à suivre...

 


 

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