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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 16:22

Suite à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le vendredi 20 mai 2011, la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 vient de subir une toute petite modification qui pourrait avoir d'importantes conséquences concernant le contentieux relatif à la diffamation.


Il s'agissait de répondre à cette question :

"le cinquième alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit au prévenu de diffamation de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans, est-il conforme à la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au droit à un procès équitable et au respect des droits de la défense garantis par l’article 16 de cette même Déclaration ?"


En effet, les individus poursuivis pour avoir imputé à autrui un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération disponent pour se défendre de plusieurs alternatives parmi lesquelles se trouve la faculté d'établir la véracité des faits en cause ; il s'agit de l'exception de vérité ou "exceptio veritatis" prévu à l'article 35 de la loi.

 

Ce texte prévoit d'écarter cette possibilité dans différentes hypothèses notamment, du moins était-ce le cas avant que les Sages ne statuent, "lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années" ; une limitation instaurée par une ordonnance du 6 mai 1944 relative à la répression des délits de presse avec un double objectif de garantie de la paix sociale et d'une forme de droit à l'oubli.

 


Au fil du temps, les reproches à l'encontre de cette disposition se multiplièrent qu'il s'agisse de démontrer l'entrave à une forme de contrôle démocratique surtout dans le cadre d'un débat d'intérêt général ou bien encore de mettre en avant qu'elle heurte le bon sens et la logique s'agissant entre autre de travaux de recherches d'un scientifique ou d'un historien.

 

De plus, la Cour européenne des droits de l'homme a déjà condamné, avec l'arrêt Mamère contre France du 17 février 2007, le dispositif existant dans la législation française en retenant d'une part que "les personnes poursuivies à raison de propos qu’elles ont tenus sur un sujet d’intérêt général doivent pouvoir s’exonérer de leur responsabilité en établissant leur bonne foi et, s’agissant d’assertions de faits, en prouvant la véracité de ceux-ci" et d'autre part que si elle "perçoit certes, d’un point de vue général, la logique d’une limite temporelle de cette nature, dans la mesure où, plus des allégations portent sur des circonstances anciennes, plus il est difficile d’évaluer leur véracité. Cependant, lorsqu'il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu'au fil du temps le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses."

 

Quelques mois plus tard, l'auteur d'un rapport de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe allant dans le même sens invitait la France à abroger ou à modifier l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881.

 

 

Si le texte n'a, à quelques détails près, jamais été modifié sur le point qui nous occupe, des palliatifs sont tout de même apparus notamment avec l'intervention de juridictions qui prirent en compte la jurisprudence européenne et qui donnèrent une plus grande porté à l'exception de bonne foi ; une autre possibilité de défense pour le prévenu à condition qu'il démontre le sérieux de l'enquête, la poursuite d'un intérêt légitime, l'absence d'animosité personnelle et la mesure dans l'expression.

 

Toutefois, comme le commentaire accompagnant la décision le confirme, "cette voie de contournement ne saurait à elle seule compenser l’impossibilité pour l’auteur du propos incriminé de justifier qu'il dit la vérité" et, de plus, "si l’exception de bonne foi est assez efficace dans les travaux scientifiques, elle est inopérante dans la polémique politique (compte tenu de l’exigence de modération et d’absence d’hostilité)."

 

Le tribunal correctionnel saisi en premier de la question avait également fait remarquer que "même si des décisions judiciaires récentes dans l’ordre interne et européen ont admis, ou imposé, qu'il y soit dérogé lorsque l’imputation débattue se rapporte à des événements de portée historique ou scientifique de nature à susciter des débats", notamment parce que "pour l’heure" cet état de la jurisprudence laisse à l’appréciation du juge l’appréciation du droit, pour la personne poursuivie, d’invoquer l’exception de vérité.

 

 

Amené à statuer, le Conseil constitutionnel a tout d'abord rappelé que les atteintes à la liberté d'expression "doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi."

 

Suivant ce schéma, les Sages ont tout d'abord affirmé que l'interdiction de rapporter la vérité de faits datant de plus de dix ans poursuit un objectif d'intérêt général : la recherche de la paix sociale.

 

 

C'est cependant en raison du caractère disproportionnée de cette restriction que l'atteinte à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est finalement reconnue dans des termes choisis de manière très précise :

"Considérant, toutefois, que cette interdiction vise sans distinction, dès lors qu'ils se réfèrent à des faits qui remontent à plus de dix ans, tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général ; que, par son caractère général et absolu, cette interdiction porte à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi ; qu'ainsi, elle méconnaît l'article 11 de la Déclaration de 1789."

 

Ce n'est donc pas la limitation à l'exception de vérité en tant que telle que le Conseil constitutionnel met en cause mais bien son champ d'application beaucoup trop vaste et en particulier le fait qu'il puisse concerner des travaux historiques ou scientifiques et le débat public d'intérêt général.

 

Rien ne dit donc qu'une autre version du texte proposant un cadre un peu plus restreint subirait forcément le même sort.

 

 

En attendant, même s'il est encore permis de s'interroger sur certains aspects de cette décision, le Conseil constitutionnel a déclaré que le cinquième alinéa de l'article 35 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est contraire à la Constitution et, publication au journal officiel ayant été faite, celui-ci est abrogé et il est désormais possible d'apporter la preuve de faits diffamatoires datant d'au moins dix ans.

 


 

à lire aussi sur ce blog :

 

QPC relative à l'interdiction, en matière de diffamation, d'apporter la preuve de la vérité des faits datant de plus de dix ans

 

la Cour de cassation rappelle les règles concernant les faits justificatifs en matière de diffamation

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